LepeintreBernardKever

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Le peintre Marcel Derulle


Le peintre Marcel Derulle

 

 

 

 

Autrefois nos villages étaient joyeux et festifs, nos gens savaient prendre du plaisir de toute chose et de toute circonstance, nous avions nos fêtes, nos assemblées, nos foires, nos cinémas et nos théâtres. Le théâtre du village me ramène tout naturellement aux peintures de Marcel Derulle.

Quand j’étais tout enfant, j'allais acheter le tabac de mon père nourricier, invariablement du tabac gris, du tabac bleu, du papier Rizela +, le papier Riz Lacroix avait été inventé par Léonide Lacroix de la famille Lacroix-Frère,  célèbres papetiers à Angoulême, d’une texture très particulière, il pouvait servir de coupe sang, quand la lame du rasoir avait tranché la peau.

Je revois mon pauvre père, après une matinée ou une fin de journée laborieuse, rouler sa cigarette, couler finement sur la trame sa salive et refermer la cigarette, j’aimais par-dessus tout le déclic de son vieux briquet à essence et je le regardais fumer d’envie.

Un jour que je sortais du bureau de tabac, je vis une petite voiture garée sur la place de l’église, j'approchais vivement de la voiturette miniature*, j’étais estomaqué par ses dimensions, elle ressemblait étrangement aux voitures de course du film La grande course autour du monde et dont j’avais acheté le livre une année après sa diffusion à la télévision, nous étions en 1966.

J’étais décidé à retourner voir la voiture de plus près, pour y découvrir son propriétaire, j’étais calé au bout de la ruelle de l’église à attendre. Un jour que je sortais du presbytère, je vis sortir du bureau de tabac, un petit bonhomme claudiquant, il était très agile et rapide, il grimpa lestement dans sa voiture et il en fit pétarader le moteur, des crachats d’essence coulaient du tuyau d’échappement.

De retour à la maison, je racontais ma mésaventure à mon père qui me rétorqua qu’il n’était pas un petit bonhomme claudiquant, mais qu’il fallait dire monsieur Derulle. Le peintre Marcel Derulle était originaire d’alsace, né à Nancy le 14 août 1902 et il était un grand peintre reconnu par la critique toute entière. Le peintre Marcel Derulle exerça son art à Paris, à Montparnasse, les fresques de la célèbre brasserie restaurant historique La Coupole, des fresques des brasseries parisiennes aux grands et petits restaurants, chez Hansi, à l’Auberge de Riquewihr, chez Jenny, à la brasserie Alsace aux Halles, il participa à la création de cartes postale publicitaires.

Marcel Derulle était affecté depuis sa naissance de l’incurable pycnodysostose, la même maladie du célèbre peintre Toulouse Lautrec.

J’étais obnubilé par l’étrange voiture, ça m’avait pris comme une folle envie d’aller guetter, un jour, le peintre Derulle m’interpella, il me parla de sa peinture, il me raconta avec un brin d’eau dans l’œil, la maladie de ses os, car je lui avais demandé s’il souffrait beaucoup.

Le dimanche après midi, j’allais en cachette assister aux pièces de théâtre du village, je me faufilais jusqu’aux bancs et j’admirais les panneaux décorés par le peintre, je montais sur l’estrade afin de toucher de mes doigts la peinture expressive.

Il y a une vingtaine d’année, habitait au village, non loin de chez moi, un charmant vieil homme, un géant de la nature, il s’appelait Clément. Souvent quand Clément montait la rue pour rentrer chez lui, il m’invitait gentiment à grimper en sa compagnie, pour venir boire un bon coup de rouge de sa cave, c’était un vin de garde, un vin précieux, liquoreux, un fruit en bouche, l’un de ces assemblages de différents raisins, dont les gens d’aujourd’hui ont perdu les secrets vinaires.

Nous savions par la mémoire des anciens, que l’ami Clément dans sa jeunesse, avait été choisi par le peintre comme modèle pour son tableau offert par amitié au village, un tableau spectaculaire qui orne l’intérieur de l’église par son gigantisme, La Résurrection, quand on lui en parlait, Clément baissait la tête, il nous laissait au cœur de son silence qui nous dépassait. Mon amie Michèle Pietrin, historienne du patrimoine de la Sarthe, croit fermement que le peintre Marcel Derulle s’était lui-même représenté en Christ ressuscité.

Marcel Derulle était un homme, un humaniste, tout son intérêt portait sur l’existence, la condition sociale des petites gens, ainsi il peignit d’innombrables toiles sur les bohémiens, leurs campements.

Un matin de l’année 1981, la nouvelle avait fait grand bruit au village, au alentour, en Sarthe et partout en France comme à l’étranger, le peintre Marcel Derulle était mort dans la nuit, sa présence lumineuse resterait incrustée éternellement dans l’âme reconnaissante de son village d’adoption, sa peinture éclairante de la plus immatérialité des libertés.

 

 

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10/06/2013
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